Vivre, et non seulement survivre: Les enjeux des musiciens latino-américains en ces temps de pandémie
GUILLERMO GLUJOVSKY
L’arrivée de la pandémie au Québec marque un avant et un après dans la vie des artistes latino-américains, plus particulièrement pour ceux qui vivent uniquement de leur musique. Si on prend comme exemple la relation « monde virtuel / musicien », on peut dire qu’en quelques mois, tout a radicalement changé. D’un outil complémentaire pour faire la diffusion de nouveaux matériaux musicaux et inviter les auditeurs à des performances « en direct », Internet est devenu le moyen indispensable qui garantit la vie artistique de tout musicien, non seulement pour maintenir la relation avec les anciens adeptes, mais aussi pour atteindre un nouveau public.
Internet et les pièges de la gratuité
L’incursion d’Internet comme moyen de diffusion en cette période de pandémie est incontestable. Cependant, l’aspect qui reste fréquemment hors de l’analyse, c’est la manière dont les artistes peuvent valoriser leurs pièces musicales, après tout un processus qui peut se résumer à la créativité, les instruments et les techniques d’enregistrement de pointe. Il est vrai que l’offre de styles et de nouvelles chansons a considérablement augmenté, mais le public ne se demande pas comment les musiciens font pour récupérer leurs coûts de production dans un monde virtuel où pratiquement tout est gratuit.
À ce propos, Francis Gurry, directeur général de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle – qui appartient à l’Organisation des Nations Unies – a émis, le mois d’avril dernier lors d’un entretien pour l’Agence France-Presse, un avertissement concernant l’augmentation des produits culturels gratuits (livres, films, concerts) qui met en danger les droits des travailleurs de la culture :
« Bien que les gouvernements doivent se préoccuper de la santé de leurs concitoyens, ils ne doivent pas oublier de soutenir le secteur de la culture, qui est fondamental pour la santé mentale des personnes en état de confinement ».
L’opinion des protagonistes
Pour le chanteur et compositeur d’origine uruguayenne Sergio Abel Mendez, la pandémie a donné la possibilité aux artistes d’être davantage reconnus par le grand public :
« Aujourd’hui, les sites internet comme YouTube et Vimeo sont devenus très populaires en raison du Coronavirus. De plus, le virus a été une source d’inspiration pour quelques artistes. On a observé le même phénomène à la télé : plusieurs émissions, même celles qui diffusent les nouvelles, montrent une diversité d’artistes inconnus qui auparavant faisaient leurs prestations uniquement de la maison ».
L’ère virtuelle a ouvert beaucoup de possibilités, particulièrement pour les musiciens qui ne bénéficient pas de subventions gouvernementales et qui vivent sans budget pour couvrir les coûts de production toujours élevés :
« Je pense qu’Internet aide l’artiste sans structure de production qui, dans le passé, performait dans des salles dont la capacité variait entre 20, 40, jusqu’à 60 personnes. Avec Internet, le public est plus nombreux ». (Sergio A. Mendez)
Par contre, selon Sergio Barrenechea, percussionniste et compositeur mexicain, les effets de la pandémie sur les musiciens dont la carrière professionnelle est en développement sur la scène locale sont dévastateurs : non seulement en ce qui concerne les différences entre les représentations faites en direct par rapport à celles sur Internet (le contact établi entre l’artiste et le public est totalement différent), mais aussi concernant les sources de financement. S’il était très difficile auparavant d’accéder aux subventions gouvernementales et d’obtenir le soutien du secteur privé, maintenant c’est presque impossible :
« Les restrictions gouvernementales pour éviter la propagation de la pandémie ont systématiquement entraîné l’élimination des travailleurs du secteur de la culture. Bientôt nous n’aurons plus aucune source de revenus. »
Le revenu minimum garanti, est-ce une solution ?
Pour faire face à une situation d’inégalité structurelle – dont l’évidence a été démontrée par la pandémie –, certaines organisations qui appartiennent à la communauté artistique canadienne (comme l’International Alliance of Theatrical Stage Employees, la Fédération canadienne des musiciens, la Fédération culturelle canadienne-française, le Conseil québécois du théâtre –pour ne citer que celles-ci –), ont proposé une solution à la crise actuelle dans une lettre dirigée au premier ministre Justin Trudeau le 16 juillet dernier : l’adoption d’un revenu minimum garanti. D’après ces organismes, le revenu minimum garanti (RMG) aiderait à créer un « système de sécurité social plus sain et équitable, qui soutiendrait toutes les personnes, principalement les plus vulnérables. »
Dans un autre passage de la lettre adressée au premier ministre, il est fait référence à la nécessité des artistes d’évoluer, orientant leurs créations sur les nouvelles plateformes de la culture numérique.
Il reste toutefois à se questionner dans quelle mesure la proposition de ces organismes artistiques est réaliste : le gouvernement fédéral a-t-il la capacité financière d’accorder ce revenu minimum aux membres les plus vulnérables de la population canadienne ? Et si on parle d’un revenu pour sortir de la précarité (situation dans laquelle se trouvaient déjà de nombreux artistes latino-américains avant l’apparition de la COVID-19), cela leur permettra-t-il de rejoindre les nouvelles exigences de l’ère virtuelle ? On parle non seulement des coûts reliés à la production, mais de la diffusion d’une œuvre musicale en permanence et de même niveau que les créateurs déjà consacrés, qui permettrait aux artistes latino-américains de vivre de leur métier, pas seulement de survivre.