La CAQ et l’immigration au Québec: Populisme ou pragmatisme?
Entrevue avec le directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes
Daniel Fournier
Grâce à l’Accord Canada-Québec sur l’immigration (1991), une entente unique en son genre, le Québec dispose d’une grande autonomie et d’importants moyens financiers récurrents et généreusement indexés.
Aujourd’hui, le nouveau gouvernement de la CAQ apporte de nombreux changements à nos politiques d’immigration et d’intégration des immigrants au Québec ce qui soulève plusieurs questions:
- Où se situent les politiques de la CAQ vis-à-vis l’immigration et l’intégration des immigrants? Populisme, improvisation ou pragmatisme?
- Le nombre d’immigrants par année : paramètre important ou secondaire?
- Finalement, au fil des ans, la politique d’immigration et d’intégration unique au Québec, succès ou échec?
M. Stephan Reichhold est depuis 1989 directeur du TCRI (Table de Concertation pour les Réfugiés et Immigrants). À ce titre, il est responsable de la coordination et du développement d’un regroupement de 153 organismes communautaires œuvrant au Québec et voués à la défense des droits et intérêts des réfugiés, immigrants et sans statut. Il est également la voie de communication entre les gouvernements et ces organismes.
M. Reichhold nous aide à trouver des réponses.
L’immigration au Québec, de 1991 jusqu’à aujourd’hui
Stephan Reichhold nous explique que l’accord Québec-Canada de 1991 donne au Québec un statut et des pouvoirs particuliers pour tout ce qui touche la sélection et l’accueil des immigrants. Il est accompagné d’une compensation financière indexée (595 millions$ en 2019) très avantageuse et sans reddition de comptes.
Selon Reichhold, ces ressources financières abondantes ont été très mal utilisées et n’explique pas le sous financement observé ces dernières années pour les services aux immigrants. Ne pouvant faire de reddition de comptes, le Fédéral est allé jusqu’à demander au TCRI où allait l’argent donné à Québec. Finalement, le TCRI a dévoilé que grâce à une comptabilité astucieuse, l’argent du Fédéral finançait des activités au sein des ministères de l’éducation et de la santé. Ces activités n’étaient pas nécessairement liées à l’immigration. Reichhold qualifie cette situation : « De zone grise passablement incompréhensible pour la majorité des Québécois. »
L’efficacité de l’approche québécoise pour l’intégration des immigrants
Pour Reichhold, l’approche québécoise des année 90 est un exemple d’inefficacité. Basée sur l’intervention institutionnelle, à savoir les CLSC, garderie et écoles publiques, cette approche a été caractérisée par de nombreux dédoublements entre les ministères causant confusion et inanité. À partir de 2010, cette approche a été graduellement abandonnée en redonnant l’argent aux organismes communautaires chargés de l’intégration des immigrants et réfugiés.
Aujourd’hui, avec le gouvernement actuel, nous revenons à une approche institutionnelle, nommée Parcours Québec, où c’est l’état qui s’occupe directement des immigrants et réfugiés. Reichhold explique que Parcours Québec demeure à date une approche théorique caractérisée par sa rigidité donc peu adaptée au cheminement non linéaire de l’immigrant. De plus, « l’état ne peut se passer de l’immense expertise des organismes communautaires ». Par conséquent, Reichhhold prédit que d’ici trois années, le gouvernement fera marche arrière et impliquera à nouveau les organismes communautaires.
Sur une note positive, depuis l’adoption de la loi 9 en avril 2019, le ministère de l’immigration peut dorénavant imposer légalement des directives aux autres ministères de l’Éducation, du Travail et de la Santé. Selon Reichhold, « il n’est pas certain que cette nouvelle approche directive soit couronnée de succès, la faiblesse étant le manque de coordination entre les différents ministères. »
La démarche du gouvernement caquiste : populisme ou pragmatisme?
Depuis la venue au pouvoir de la CAQ, l’approche concernant l’immigration a complètement changé. Stephan Reichhold mentionne que pour la première fois, un ministre puissant et influent a été nommé au ministère de l’immigration. Le ministre Jolin Barette a en effet réussi à faire augmenter le budget de son ministère de 50%. « Du jamais vu, on baigne dans l’argent », affirme Stephan Reichhold. 150 M$ à la francisation, budget d’accueil et d’intégration gonflé de 18 M$ à 50 M$ et meilleure accessibilité au programme de francisation.
Stephan Reichhold souligne cependant la démarche paradoxale de la CAQ. En même temps qu’elle bonifie les budgets, elle diminue le nombre d’immigrants par année afin d’en prendre mieux soin. De plus, à des fins populistes vis-à-vis de son électorat, la CAQ tient un discours ambigu dans sa façon de présenter l’immigration ce qui « crée des dommages quant à la perception des québécois envers les immigrants. »
Face à la population vieillissante et au manque de main d’œuvre, le gouvernement actuel préconise une approche économiciste, soi-disant “pragmatique et utilitaire”. En réalité, selon Reichhold, « nous sommes en face d’une vision à très court terme, improvisée et caractérisée par la marchandisation de l’immigrant, au mépris de l’intégration des familles. »
Reichhold considère que c’est « une erreur fatale de diminuer le quota annuel d’immigrants » tout en ouvrant à plein le programme Travailleurs temporaires en passant par le PEQ (Programme Expérience Québec). On parle ici de 100,000 travailleurs temporaires acceptés en 2019, sans tambour ni trompette. Cette catégorie d’immigrant est très vulnérable. Selon Reichhold, leurs droits sont peu respectés, causant abus et précarité. En effet, les entreprises les embauchant ont littéralement droit de vie ou de mort sur cette catégorie d’immigrant. De plus, les nombreuses ratées du PEQ rajoutent beaucoup d’incertitude, d’angoisse et de confusion chez l’immigrant.
L’immigration au Québec, la suite
Reichhold voudrait que Québec respecte au moins l’entente de 1991 et ainsi réclamer le minimum de 22% du quota annuel d’immigrants (250,000) défini par le fédéral au lieu des 14% actuel. Cela serait plus logique, considérant que Québec reçoit 50% du budget canadien pour l’intégration des immigrants.
Tout ceci amène Reichhold à se poser cette question dont la réponse est cruciale pour l’avenir de l’immigration:
« Comment se fait-il que Québec ne performe pas mieux au niveau de l’intégration du nombre d’immigrants compte tenu de ses pouvoirs et du financement qu’il reçoit depuis 1991? ».
Ici Reichhold réfléchi à voix haute: « Sommes-nous en présence d’une société sclérosée mal adaptée aux immigrants au niveau des accès aux services publiques et mesures d’emploi? Serait-ce une question de mentalité, de géographie, de langue et de stress identitaire qui expliquerait les réticences à l’augmentation du nombre d’immigrants? Comment expliquer la différence de perception entre les régions et la métropole? Pourquoi est-ce mal perçu que le Québec s’adapte aux immigrants? Est-ce seulement à l’immigrant à s’adapter? C’est une démarche à deux sens, on se doit d’aller l’un vers l’autre. »
Reichhold conclut ainsi : « Il faut plus d’études universitaires qui se penchent sur les questions de l’immigration tant au niveau social, médecine que de l’éducation. Il faut également mettre de l’ordre dans le fouillis de la reconnaissance des diplômes étrangers. Finalement, il faut que le Québec continue d’être un leader mondial dans l’intégration des réfugiés issus des camps. »
Malgré tout, Reichhold demeure relativement optimiste en déclarant que dans le monde, « Le Québec et la Canada sont parmi les endroits les plus ouverts à l’immigration et l’accueil des réfugiés avec une base solide d’organismes pour leur intégration. »